Dépaysage I
170 x 300 cm - Technique mixte sur bois - 2013
Dépaysage II
170 x 300 cm - Technique mixte sur bois - 2013
Dépaysage III
200 x 300 cm - Technique mixte sur bois - 2013
Dépaysage IX
170 x 350 cm - Technique mixte sur bois - 2016
Dépaysage X
50 x 142 cm - Technique mixte sur bois - 2016
Dépaysage XII
170 x 150 cm - Technique mixte sur bois - 2013
Dépaysage XIV
150 x 100 cm - Technique mixte sur bois - 2013
Dépaysage XVII
70 x 157 cm - Technique mixte sur bois - 2013
Dépaysage XXI
185 x 220 cm - Technique mixte sur bois - 2019 (Collection publique française)
D E P A Y S A G E
Suite de tableaux / encres et acrylique sur papier japon marouflé sur bois, gravure / depuis 2012
Ce travail interroge la notion du paysage, telle qu’elle nous a été léguée en occident, et la confronte avec son équivalent dans la pensée orientale. La Chine, première civilisation à avoir pensé le paysage, a deux couples sémantiques pour l’évoquer : Montagne-Eau et Vent-lumière.
Contrairement à « paysage » – ou encore « paisaje », « paesaggio », « landscape », « landschaft », « landschap » dans d’autres langues européennes – littéralement « portion de pays », ces deux associations, Montagne-Eau et Vent-lumière, évacuent la spécificité locale d’un territoire pour ouvrir une dimension cosmique, où la rencontre et la mise en tension des éléments naturels s’intensifie jusqu’à créer « du » paysage, qui émerge de ces polarités.
Ce travail se constitue de façon presque organique : plusieurs panneaux, mis côte à côte, entrent en résonance et donnent à voir « du » paysage. Ces unités forment des tableaux, mais peuvent se défaire pour en former d’autres.
En fonction de l’espace d’exposition, ces tableaux deviennent eux-même des unités qui peuvent se combiner entre eux.
Au fond d’un rêve, yeux grands ouverts
Esquisse sur les Dépaysages de Caribaï
D’emblée, c’est un monde qui surgit, campé dans son apparente unité. Puis, par les panneaux qui le composent, on devine qu’il tend vers l’infini, comme s’il était en expansion, mais provisoirement stabilisé pour le temps fini du regard.
Monumental, moins la lourdeur des monuments. On dirait des cathédrales, mais dispensées de pierre et de Dieu : il n’en resterait que le rayonnement de la spiritualité faite contours, lumière, énergie.
Convaincant. Il s’impose par la seule présence. Il dure, il résonne. Aucune glose. Aucun titre pour horizon d’attente. Éclat de beauté. Oui le mot dérange dans notre époque ressassant la marchandise et le déchet, et pourtant, beauté. Beauté surgissante, beauté événement, beauté explosante fixe chère à Breton, éclair figé dans un moment de grâce, éclat qui nous éclaire à nous-mêmes et qui entraîne le regard au fond d’un rêve, yeux grands ouverts. [...]
Passée l’emprise du sensible, remonte clandestinement dans son œuvre la mémoire de maints courants de culture. La gravure japonaise rôde en sous-main, elle remonte de la profondeur de la matière pour soulever discrètement la surface. L’envol des formes d’encre font écho à l’essor des mouvements de la calligraphie, ou celui des vagues d’Hokusaï. La netteté des contours n’a pas oublié celle des maîtres de l’estampe, et la clarté onirique celle des shojis des fenêtres du Japon d’antan. Le sujet qui s’y cherche est flottant, modelé par le jeu mouvant des images et des formes qui le suscitent. Par les panneaux qui s’articulent, on retrouve la trace des paravents nippons où les scènes juxtaposées s’articulent et dialoguent.
Mais aussi, par les césures qui les conjoignent et les disjoignent, les volets œuvrent autant pour manifester l’homogénéité d’ensemble que pour affirmer leur hétérogénéité, et, par cette tension paradoxale, on retrouve une esthétique de la rencontre, rencontre où la surprise et la justesse feront éclair, comme l’expliquent Reverdy puis Breton à propos de l’image poétique. Comme l’explique aussi Freud à propos du travail du rêve. Devant nous est mise en action la dynamique onirique : chacun des panneaux distincts est presque autonome, mais il communique en même temps par des liens associatifs avec son entourage. On passe d’une image à l’autre par les ponts, les points de contact qui mettent en relation les diverses rives des volets. Le regard s’y retrouve et s’y perd. Familier et étrange.
Ainsi, ce qui enchante dans un premier temps par l’équilibre de la composition, l’harmonie des valeurs et l’apparent équilibre des formes, se double lentement d’un trouble qui remet en cause l’illusion première d’une reconnaissance. Un double mouvement travaille la réception de l’œuvre : d’un côté la continuité qui semble inviter à passer d’un panneau à l’autre comme dans un paysage, et de l’autre, les enchaînements qui font lien, mais tout en ruinant la continuité de l’illusion réaliste. Les points de passage d’un volet à l’autre permettent de croire à leur enchaînement tout en étant, dans le même temps, ce qui le dément. La forme se brouille et ce qui semblait allait de soi vire à l’étrange. Comme dans le rêve, on retrouve des « restes diurnes » qui semblent familiers, mais que le rêve coud par des liens associatifs qui les déplacent et les condensent au gré de l’énergie onirique. De même, les images de Caribaï, projetées sur la scène de l’œuvre, détournent sourdement la vraisemblance et ses fausses évidences. Elles rendent sensible, tout en la voilant, l’économie singulière de son travail.
Caribaï ne se contente pas de faire œuvre ; elle donne à sentir, dans la dynamique même de sa composition, les ressorts qui l’animent et lui donnent son rythme original.
François Migeot
écrivain
juin 2013